Mes élèves [Cette semaine #46]
Je ne travaille pas le lundi. Je commence le mardi à 9h. J'ai commencé à re respirer mardi devant mes élèves. Les atrocités de vendredi auront permis que je me réconcilie avec mon travail. Je n'avais qu'une hâte: les retrouver.
Je ne parle presque pas de mon boulot, cela fait 10 ans que j'enseigne, et je suis dans ma 9ème année d'exercice en Seine St Denis. Mes élèves ont entre 14 ans et 21 ans. Ils habitent tous le 93.
Mes élèves n'étaient pas Charlie. Ils sont en grande majorité de confession musulmane et les amalgames, les propos déplacés étaient courants.
Ils habitent à trois stations de RER, ou de métro de Paris mais n'y vont quasiment jamais.
Leurs repères, ceux qu'ils maitrisent, connaissent, sont le quartier, les réseaux sociaux, le sport pour certains. Peu vont au cinéma.
Depuis septembre j'ai instauré la revue de presse avec mes terminales. En demi-groupe, chaque semaine, deux élèves présentent l'actualité avec l'angle de leurs choix, seule consigne: ne pas donner son avis, synthétiser l'information et vérifier les sources.
Cette semaine mes élèves, les grands comme les petits, les doux, comme les durs, étaient touchés et affectés.
Cette semaine beaucoup ont vécu au rythme des perquisitions et des contrôles.
Cette semaine tous ont vu les journalistes en permanence au coeur de leurs cités, ceux qui ne viennent jamais en temps normal.
Cette semaine j'ai eu devant moi des ados choqués qui avaient besoin d'être rassurés.
Cette semaine je n'ai entendu aucun mot déplacé.
Cette semaine ils ont compris que les réseaux sociaux n'étaient pas une source d'informations fiable.
Cette semaine ils ont charrié leur camarade interviewé sur BFM.
Cette semaine ils m'ont permis de retrouver l'envie d'être avec eux, comme au début et je les en remercie.
Certains ont peur d'aller en stage à Paris,
Certains se demandent comment ils vont pouvoir trouver un stage ou même du travail en étant maghrébin,
Certains ont des pensées pour ceux qui vivent la guerre au quotidien,
Un se demande comment il pourra retourner au stade et pourquoi s'attaquer au stade.
Cette semaine je n'ai pas eu beaucoup de réponses à leur apporter mais nous avons échangé, je les ai écoutés, même les agités, même les plus pénibles, même les insolents, même ceux qui viennent sans cahier et sans crayon.
Tous avaient leur place dans mon cours.
Cette semaine nous avons parlé de violence, de bagarres, des "grands" de la cité, des femmes.
Cette semaine je me suis remise en question, plus que jamais.
Cette semaine j'ai pris conscience de leurs différentes sensibilités, de leurs vies, de leurs blessures.
Cette semaine je n'ai pas bu un verre en terrasse mais nous étions Paris.
Cette semaine j'ai pu enseigner, transmettre.
Merci à eux.
Je ne peux pas imaginer ce qu'ils ressentent mais je suis de tout coeur avec eux. <3
RépondreSupprimerMerci.
SupprimerJe n'ai pas les mots là tout de suite mais ce billet est très beau. Merci pour tout ce que tu accomplis en tant que prof et bravo ! <3
RépondreSupprimerJe n'accomplis pas grand chose tu sais. Bises
Supprimerton billet est poignant, touchant, tu dis tout l’essentiel et je suis de tout coeur avec toi :)
RépondreSupprimerMerci ♥
Supprimer♥
RépondreSupprimerTrès beau billet ! Tout est dit !
RépondreSupprimerJe lis tellement de bêtises sur les réseaux sociaux écrites par des adultes qui n'ont aucune connaissance de terrain que, pour une fois, j'ai eu envie de parler de mon travail
SupprimerIl est magnifique ton billet :*
RépondreSupprimerMerci beaucoup et surtout merci à eux, cette semaine a été intense.
SupprimerCette semaine n'a pas été facile... Et j'ai bien pensé à vous, aux collègues qui travaillent en Seine St Denis.
RépondreSupprimerBises
Bises
Supprimer<3 J'ai pensé à toi cette semaine. Je ne savais pas que tu enseignais en Seine St Denis. Très beau billet, très touchant <3
RépondreSupprimerBises
Je n'en parle pas beaucoup sur le blog, je scinde mes différentes "vies" mais là j'avais besoin de laisser une trace, bises
SupprimerQuand on vit un drame, il y a des choses qui ne nous sautent pas aux yeux. On se sent tourné vers le monde, près à tendre la main... en pensant que l'on pourra accomplir tant de choses. Puis je lis ton billet. Une autre vérité me saute aux yeux. Je ressens autrement les choses. J'imagine aussi à quel point c'est évident d'être à son travail mais comme ça doit aussi être pénible de parler de ce sujet avec des jeunes plus inquiet les uns que les autres. Personnellement avec ma sensibilité, même si je sais être forte quand il faut, ça m'aurait semblé dure. En tout cas c'est un bel article. Une jolie trace pour eux.
RépondreSupprimerJ'ai compris, depuis très longtemps, que je ne peux pas sauver le monde. J'essaie juste de rendre heureux mes enfants et mes proches. Quand à mes élèves j'ai pour eux un profond respect depuis toujours, et cette semaine il m'ont redonné envie de rester près d'eux car ma place n'est pas ailleurs. Bises
Supprimerton billet est très touchant et plein d'espoir <3
RépondreSupprimerMerci ♥
SupprimerCette semaine j'ai eu hâte de retrouver les miens pour les compter et vérifier que ma salle était pleine ...
RépondreSupprimerComme je te comprends. J'avais envoyé un mail à tous mes élèves dans la journée de samedi ♥
SupprimerJe l'ai fait pour la promo dont j'ai la responsabilité. Pour les autres j'ai du attendre de les voir en classe.
SupprimerTrès beau témoignage, merci d'être là pour eux et pour nous avec ces mots...
RépondreSupprimerDommage qu'il nous ait fallu de pareilles atrocités pour prendre conscience de certaines réalités. Moi la première, j'ai l'impression d'avoir évolué dans ma façon de considérer certaines choses.
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